L’endroit change chaque semaine. Au milieu des usines et des machines industrielles hurlantes, un comité d’Indépendantistes se réunit pour partager des idées, des informations et des moyens d’action pour convaincre et persuader la population du bien fondé de ce mouvement. D’après le vieil homme, seul un indépendantiste a le droit de pénétrer en ce lieu et d’écouter ce qui s’y dit, sous peine de finir ses jours de façon rapide et douloureuse. Le vieil homme m’a permis d’y entrer. J’ignore pourquoi, mais tout le monde semble lui obéir au doigt et à l’oeil ici. Des chaises en métal, de petites tables pour s’y poser et parfois jouer aux cartes, et toujours des débats passionnés qui échauffent le sang et poussent à se lever pour frapper l’autre. Je ne me sens pas en sécurité, et pourtant cela a quelque chose de grisant. La liberté est parfois sans concession, d’après le vieil homme.


Ici, le politiquement correct n’existe pas, me souffle-t-il, donc ne soit pas choqué ou étonné si des choses… Étonnantes t’arrivent aux oreilles.

J’ai hoché la tête d’un air entendu.



Nous sommes entrés dans une autre pièce, plus étroite. Il est surprenant de constater à quel point les Indépendantistes issus de Cen, d’Aalvarma et de Snjor se mélangent sans retenue. J’ai fait part de mon observation au vieil homme, discrètement, et il n’a pas pu s’empêcher de retenir un pouffement :

Nous avons tous le même but, et si nous y parvenons nous ne nous recroiserons plus jamais : pourquoi ne pas s’entre-aider dans ce cas ?

Cela fait sens. Mais tout de même…

Je crois que je comprends. Une dernière chose… En êtes-vous un ?

Évidemment. Comme la plupart des derniers explorateurs. Il s’est penché vers moi, comme pour me confier un secret. Ces mondes, même mourants, ce sont les nôtres. Nous pouvons voir leur beauté et leurs qualités, c’est ce qui fait de nous de bons explorateurs. Mais cela fait également de nous des Indépendantistes. Nous ne laisserons jamais tomber la terre qui nous a vu naitre et qui nous a autant offert.



Je n’ai rien répondu. Il me faut le temps de réfléchir à tout cela. Nous nous sommes approchés d’une table et le vieil homme a tapé du plat de la main sur l’épaule d’un des hommes assis, occupé à jouer aux cartes. Cinq personnes, assises en cercle, qui s’observent en chien de faïence.



Salut Skidrow. Quoi de neuf ?

Hé. Tu viens te joindre à nous ? Le pot de départ est d’un peu moins de cent cinquante.

Je regrette, pas cette fois. J’ai besoin de coupures fraiches. Trois milles des trois monnaies.

Tu repars en vadrouille ? Fit un des autres hommes à la table, fronçant les sourcils. Neuf mille, ça en fait une somme.

Je vais montrer deux trois coins sympas à mon petit pote en pantalon ici présent. Le vieil homme m’a pointé vaguement du doigt. Cela demande de sillonner les trois Mondes en long, en large, et en travers. Donc, comme on dit, pour marcher, de bonnes chaussures ne suffisent pas, il faut du liquide.