Vagues. Une nouvelle série de vagues percute votre esquif, lui impulsant un mouvement de balancier… Droite, gauche, vous manquez de chavirer dans l’écume.
À ceux qui sombrent dans les brumes qui mordent cet océan, la mort et l’oubli, le corps et l’âme déchirés par les flots noirs. Celui qui sombre ne pourra jamais revenir à la surface. Durant notre voyage, le capitaine a mis en doute le fait que cet océan soit réellement composé d’eau. Depuis, cela me hante.

Mes yeux se sont posés sur la boussole dont les aiguilles tournent follement. Les directions cardinales n’existent plus, ici. Les constellations changent de forme chaque voyage, comme si de nouvelles étoiles naissaient la nuit pour prendre la place des anciennes, celles qui s’obstinent à s’éteindre et mourir dans la brume flamboyante au lever du soleil.

Durant notre voyage, la brume s’est dissipée à six reprises.

La première fois, nous sommes arrivés sur Cen, à une époque ou les humains n’existaient pas. La faune et la flore seule nous a permis de reconnaître les lieux.

La seconde fois, ce fut Snjor, encore une fois, quelque part dans le passé, quand des nations prospères sillonnaient encore ses différents continents.

La troisième fois, un monde inconnu nous fit face. De grandes montagnes sans vie, sans végétation ni aucun point d’eau potable.

La quatrième fois, nous fîmes escale à CLAPS, dans le futur. Je ne préfère pas écrire dans ce journal ce qu’il est advenu de la ville. Sachez que nous avons tout de même choisi de nouveau de lever l’ancre.

La cinquième fois, Aalvarma, à une époque ou la glace n’existait pas et ou ses terres s’étendaient librement, vertes et rayonnantes de vie. De nombreux de nos travailleurs ont décidés d’accoster sur Aalvarma et de vivre à cette époque. Nous sommes repartis au nombre de 23, ce qui était encore suffisant pour faire naviguer notre esquif.

La sixième fois, ce fut de nouveau Cen, bien que dans le futur. Plus de vie, plus rien qu’une terre brûlée à perte de vue et de la poussière en suspension cachant les rayons du soleil.

Il est impossible de dire à l’avance où cet Océan nous porte. Passé ? Présent ? Futur ?
Tout ce que je sais, c’est qu’à l’instant ou nous posons le pied sur le bateau et que nous levons l’ancre, la brume revient. Elle revient sans cesse. Et elle nous transporte de nouveau sur ses flots.

Une fois qu’une personne navigue dans l’Océan Hors du Temps, il est difficile d’en sortir. Maintenant je comprends les récits des voyageurs qui prétendent qu’il est impossible de revenir à CLAPS, une fois la ligne d’horizon dépassée.
Cette rumeur est en partie réelle.




Le Capitaine Kate s’est adossé à la barre.

Pour une fois, fit-elle, j’aimerais bien un monde luxuriant. Que nous puissions faire escale et récupérer nos provisions.

J’ai hoché la tête.

Beaucoup de nos hommes sont partis. Certains parlent de débarquer au prochain voyage, pour ne pas risquer de mourir de faim et de déshydratation en mer.

Rêver d’un endroit où vivre, c’est un rêve comme un autre.

J’ai vu le capitaine perdre son regard au loin.

Nous ne voyagerons pas jusqu’à la fin de nos vies. Il va falloir décider d’un moment ou raccrocher nos rames, j’en ai peur.

Tout dépend de ce que vous cherchez. J’ai resserré mes vêtements, afin de lutter contre le froid. Pour ma part, je continuerai de voyager.

Pourquoi ? Que recherches-tu exactement ? Un lieu précis ? Un moment précis ?

Un vieil ami, temporairement égaré.

J’ai salué le capitaine et je suis allé me reposer.