J'en avais rêvé. J'en ai tellement rêvé, durant toutes ces nuits passées à m'angoisser sur le futur.
Toutes ces nuits à attendre la balle qui me transpercerait et mettrait fin à toutes ces pensées.
La balle n'est jamais venue.
Sur le front, au milieu de tous ces morts, j'ai appris à hair l'armée. Puis, à hair les ordres, les supérieurs hierarchiques et l'autorité. Et enfin, je me suis mis à hair tout ce qui touchait aux administrations, aux empires et aux roitelets provisoires assis sur des chateaux de cartes.
J'ai grandis à Meliadus, entre deux usines. Mon premier emploi était une véritable corvée, mais l'ambition me permit de m'y sentir à l'aise, travaillant comme trois au milieu de produits toxiques à trier et analyser.
Un simple travail de routine, le premier barreau de l'échelle social.
La mauvaise nouvelle : A force de respirer chaque jours des produits chimique, j'y ait presque perdu la vue.
La bonne nouvelle : Se sentant coupable, le patron m'offrit ce qui fut ma premiére promotion.
Quelques mois me suffirent à recouvrer la vue, ou presque. Ma vision des couleurs est devenue incohérente. Tout est devenu noir et blanc. Parfois, quelques couleurs, mais rien de logique.
D'aprés quelques médecins, c'est probablement neurologique.
Sans les couleurs, impossible de continuer à travailler sur les produits chimique. Je suis passé à l'administration.
En quelques années, j'ai grimpé de maniére fulgurante, simplement grâce à une chose. Je suis probablement un enfoiré, mais j'ai découvert qu'il suffisait de saboter le travail des autres pour aussitôt passer pour quelqu'un de conscientieux. Tout est affaire de comparaison.
Et je suis grimpé tout en haut de l'échelle. On m'a promis des promotions, de l'argent et tout ce que je désirais. Sauf une chose. La vision des couleurs.
Suite à une erreur administrative sous ma responsabilité, due à une confusion entre une enveloppe jaune et une bleue, tout s'est écroulé. Rétrogradé, humilié, puis quelques mois plus tard, envoyé sur le front.
On se débarasse de moi, et toutes ces personnes sur lesquelles j'avais marché se sont donné un malin plaisir à m'appuyer la tête sous l'eau. Ce n'est que justice, m'a longtemps dit ma conscience. Je n'en suis plus trop sûr désormais.
J'étais devenu ami avec le roi. Mr. Bloomberry. Il ne m'a pas soutenu, quand l'erreur fut révélée. Il se contenta d'oublier mon existence avec une rapidité hallucinante.
Je hais ce monde. Je hais ces promesses non tenues. Je hais les actes manqués et tout ce qui s'y rattache.
J'ai fuis le front. Je n'ai tué personne, par je ne sais quelle chance. Mes années sur le continent m'ont appris que le salut ne viendrais pas des terres.
Alors je suis parti en mer. Et c'est là que je l'ai rencontré.
Lui.
Il m'avait promis de quoi retrouver les couleurs. Puis, il m'avait également parlé de son projet fou. Celui de construire un autre endroit, un endroit qui échappe aux empires, par delà la mer et le ciel.
A l'époque, je m'étais contenté d'hocher la tête, sans trop savoir quoi en penser. Malgré mon manque de réponse, il tint parole et quelques semaines plus tard, m'apporta de magnifiques lunettes. Une monture des plus sobres sur laquelle était enchassé deux verres rouges émeraudes. Une petite invention à lui, une invention géniale.
Et les couleurs revinrent.
Je ne sais pas pourquoi, mais je ne l'ai pas remercié à l'époque. Je me suis contenté d'accepter son cadeau en silence. Mais je compte bien réparer mon erreur. Je le retrouverais, lui et son île volante, et je compte bien m'y installer.
Le Docteur Lindblum est bien le seul à avoir tenu parole. Je le préfére à tous ces vendeurs de mensonge comme Bloomberry ou Darcy.
Il est le seul qui mérite d'avoir mon allégeance.
Je trouverais Dr. Lindblum. Je trouverais Snjór. Et s'il faut défendre l'île contre ce monde que j'ai appris à mépriser, je serais là.
