La demeure... enfin si on peut la nommer comme ça. Le noir et le gris domine la rue, noir les pavés, noire la façade, et les candélabres jetant une lueur inquiétante sur le visage de cette maison. Elle semble vivante, la lueur danse sur ses briques, enduite de la crasse de cette cité industrielle.
Pourtant elle abrite depuis des générations l'une des familles les plus riches de ces lieux.
La seule chose qui la différencie des autres appartenant à une classe moins élevée , est sa minuscule allée, sa petite cours à l'avant, la lanterne ouvragée à la porte, sa grille aussi ... qui d'autre a une grille , et surtout pour quoi faire? D'ailleurs il y a longtemps que le portail, tout petit portail, a disparu. Et si elle n'était quasiment soudée à la façade ma lanterne elle aussi aurait été victime d'une mystérieuse disparition.
Les quelques fenêtre à l'avant sont crasseuses, et des rideaux lourds, pourpre occulte la vu vers l'intérieur. A regarder comme ça surement la penserait-on déserté. En tout cas par les vivants.
Et au fond on aurait pas tord.
Car toute personne sensée aurait quitté les lieux... mais je ne suis pas comme cela.
Je vis ici dans ce lieu lugubre, seule depuis la mort de mes parents.
Ils m'ont laissé leur fortune, surement devrais je aller vivre ailleurs mais où?
Je passe mes journées avec mes... jouets... mécanique.
J'aime le bruit des rouages.
oui oui... les rouages de mes créatures.
Mes créatures horloge .... oui car le temps, c'est important le temps.
D'ailleurs c'est l'heure, ding, ding, ding... treize coups. Treize, c'est ça!!
Je jette un coup d'oeuil à la fenêtre de la porte d'entrée, voir si le colis est là. Je dois bien manger, mais la consigne est clair, poser le paquet et s'en aller. Je ne veux personne, personne ne doit me voir non!
Les enfants sont méchants souvent, ils jettent des tas de truc là... dans la cours. ça s'accumule mais je ne sors pas ramasser. La folle," Aurélie la folle" ils crient, mais c'est pas vrai, c'est Nerman qui me l'a dit, Nerman mon chat.
Je tourne devant la porte, mes doigts tapent sur mes tempes, treize , c'est ça! je ne vois plus personne, alors je peux ouvrir vite !!
Nerman glisse entre mes jambes il file, hoooo non!!! mon chat !!!

Ma boule de poil imprudente file, je regarde sa course, la rue et je vois un énorme engin ... enfin d'abord je l'entend. ça fait beaucoup de bruit tout ça... je reste paralysée. Hésitant entre claquer la porte et sauter à la poursuite de mon chat.
Non non pas courir là dehors, c'est dangereux c'est plein de... gens!!!
Un homme prend mon chat dans ses bras, j'ai chaud au joue!
ça fait chaud au joue quand on me vole mes affaires c'est pour ça.
Je voudrais bondir pour lui reprendre parce que ça fait mal dedan moi.
Nerman c'est la seule personne qui me parle.
Je regarde fort et je fronce les sourcils comme mère quand elle était en colère contre moi.
Si je le fais bien ça devrait le brûler là où je regarde, ça me faisait ça petite quand mère me jetait son regard froid. Parce que le froid ça brûle, ça mord, et là je lui mord la joue GNIARK!!
Rend moi mon chat !
ça ne marche pas il ne regarde pas.
Mes doigts s'agitent sur ma tempe... 4 ou 5 mètres entre lui et moi. 2 personnes dans la rue. 5 ans enfermées dans la maison. Mes doigts comptent sur ma tête, je me concentre fort, je dois sortir un mot, attirer son attention.
je tape du pied de toute mes forces "HEY!!!"
holala ça fait peur ce son c'est quoi ? ça sors de moi ?
Je pose mes mains sur ma bouche au cas où ça reviendrais et je me cache légèrement derrière la colonne de l'entrée.

On arrive d'ici : "Une affaire en ville"

En route!  Je file dans les ruelles attentive à la circulation même moindre à cette heure.

Je me prélasse déjà à l'idée d'avoir un moment pour dormir et faire le vide dans ma tête avant demain. Avec tout ça je me demande bien comment va se passer ma visite au centre administrative. Il va falloir que je me concentre un peu et que je sois bien LA Naël TimberLake...

J'entends Jude d'une oreille, je répond pas, de toute manière ma voix serait noyée dans le vent.

Aïïïïeee!!! mes harpions, il m'écrase le pied! J'ai toute les peines du monde à retenir la bécane sur ses deux roues. Avant même de me dégager de la moto je me retrouve avec une perruque dégoulinante d'huile, ça me coule dans le cou et sur le visage, c'est poisseux et surtout ça pue le genre de chose digne d'un festin de rat. Je me lève, raide, poings et dents serrés.

J'ai l'air en colère ? Je suis en colère!

Vous allez me gronder ? Je vais l'étriper!

Vous ne l’aviez pas vu  ? Je l'avais vu et je vais d'autant plus l'étriper!

Je m'approche de Jude, les yeux lançant des éclairs, j'attrape la perruque qui trône sur ma tête se désagrégeant peu à peu au file des nouilles qui me glisse sur le nez, et je la lui pose sur la tête l'écrasant un peu pour qu'elle tienne bien et dégouline un peu plus de sa graisse.

J'avais vu le matou! comme je t'avais vu toi tout à l'heure au milieu de la rue! est ce que je t'ai écrasé? est ce que je l'aurais écrasé? Tu t'occupes pas de la conduite et tu touches à rien! J'ai pas envie de casser ma moto! j'ai pas envie de me casser moi! J'aurais bien envie de te casser toi! crotte de crotte de bique! Tu me refais ça une fois et tu cours à côté attaché avec une corde autour du cou. C'est compris?! Quand on sait pas tout c'est mieux de s'abstenir parfois et puis.....

Je me tais, respire un grand coup, ouvre et ferme les mains plusieurs fois, calmos. Ca sert à rien de s'énerver, en plus, à part ce lave pont trempé dans de l'eau de vaisselle qui se ballade de tête en tête il y a pas de bobo.  Je me détend.

J'observe la moto sur son lit d'immondices, je reviens sur Jude et son chat et j'éclate de rire, le chat a senti les nouilles, il grimpe sur l'épaule de Jude se met à manger et le lécher copieusement pour le nettoyer.  Je vis une farce, c'est ça  quand j'ai failli écraser Jude j'ai été transféré dans la dimension farce et attrape sauf que je reste aussi piégée dans notre réalité bien moins drôle.

Ca te vas bien à toi aussi !

Je me fige d'un coup, mon rire coincé dans la gorge, j'ai des picotements dans la nuque, je regarde en tout sens recherchant dans les ombres une présence. Je suis certaine que quelqu'un ou quelque chose nous observe, les picotements me trompent jamais et c'est plus que souvent mauvais signe.

"HEY!!!"

crotte zut nouille encore une cata ! quand je disais  "une journée de mierda en général une va pas sans une pléiade d'autres..."

J'aggripe Jude par le bras

t'as entendu ? sans me retourner je précise : ça vient de la bas vers le porche de cette maison tu vois quelque chose ?

L'homme avance vers moi d'un pas assuré. Comment fait il ça!!!
Je me cache un peu plus derrière la colonne, la porte me semble si loin.
Je regarde mon chat, et les nouilles . Je trouve ça dégoûtant.
Je fronce le nez au bord du vomissement.
Je ne sais pas choisir entre la peur de ce contact et le haut le coeur , c'est tout en un.
Comme mon shampoing.
Le nom de mon chat? Pourquoi ?
Il est à moi pas à lui, pourquoi il veut savoir ?
Je lève un peu les yeux et je croise son regard, il a pas peur des gens lui! Ni des microbes c'est évident, il a encore la nouille au bord des lèvres.
J'appuie mon front contre la fraicheur de la colonne, j'ai les joue tres chaudes, je comprend pas du tout pourquoi mes joues sont si chaudes d'un seul coup.
Il a un joli sourire.
Peut être je peux le dire un peu.
Mes mains sont enfoncés dans les manches de mon gilet je gratouille la colonne pour me donner du courage.
Et sans le regarder, dans un souffle, un murmure je dis : "nerman"
Et je lui reprend le chat d'un geste rapide

Il semble que les minutes , le vent, la terre se soit stoppées dans leur course.
Combien de temps?
J'ai froid.
Mes mains s'agitent nerveusement dans mes manches trop longues, étirées par des années de timidité.
Cette homme a figé mon monde en quelques silences, en un regard.
Je suis comme enracinée au sol.
Ce qui me tire de mon songe c'est le départ vrombissant de la femme qui était avec lui.
Je sursaute et me glisse lentement vers la porte.
Le chat ne semble pas d'accord avec ma tentative de retour à l'enfermement.
Il enfonce ses griffes dans mon avant bras et siffle de colère.
Une fois la porte atteinte je le lâche et claque la porte au nez de l'inconnu.
Nous voici à nouveau en sécurité, entre les murs que je connais par cœur.
Avec mes automates et mes horloges.
Je m'aperçoit alors que j'ai laissé le panier de victuailles à l'extérieur.
J'en gémis de détresse. Mes repas pour la semaine sont de l'autre côté de mon monde, derrière cet homme étrange.
Aussi étrange que moi, ou presque.
" Vous m'entendez? S'il vous plaît est ce que vous pourriez pousser le panier contre la porte et vous éloigner. Je vous en prie. Je vous en prie"
J'attends, je n'entends rien et je n'ose pas ouvrir.
C'est si difficile ! Je pense à ma petite sœur, c'était si facile quand nous étions deux. Matilda...
Elle a fui notre folie, elle a fui à la poursuite de je ne sais quelle chimère. Une chimère nommée Père.
Passons, il est partie au ciel a dit notre mère et pfiut, envolé.
Peu importe , oui , peu importe. C'est comme ça et moi je suis là à sangloter derrière une porte fermée sur ma terreur.
Je devrais fabriquer un automate pour les prochaines fois, pour chercher le panier, oui , oui c'est ça!
Me cacher encore plus!
Je compte les secondes, si je compte suffisamment il sera parti, ou disparu... comme père! Pfiut! Envolé.

Des pas sur les pavés noircis par le charbon qui retombe des usines alentours, au rythme de cette mélodie entêtante qui s'obstine à flotter dans mon esprit.
Elle s'y est glissée et refuse d'en sortir. Accrochée comme du lierre, enroulée autour de la pierre brute qu'est mon esprit.

Un poison mélodique qui obscurcit l'esprit et distrait, enfoncé dans le moindre recoin de mon âme minérale.

Et je dois dire que j'aime ça. C'est respectable et dans les grandes lignes, nous sommes semblables. La grande différence notable est la suivante : Elle se nourrit d'attention, et s'évapore quand on ne la regarde pas ou que l'on n'y prête pas attention.

Moi, même dans l'indifférence, je me glisse derrière vous et avant que vous ne le sachiez, mes ongles sont dans votre cou et mon odeur dans votre esprit.
Je me fiche de l'attention des foules. La mort ne se préoccupe que très peu de l'avis de ses clients.
Elle frappe et le reste n'existe pas.

Mais aujourd'hui, je suis comme ces quelques notes. Je me suis même surprise à chantonner cet air, dans l'espoir de me souvenir de sa provenance.
Était-ce une comptine de mon enfance ? Ou bien une chanson populaire ?
Ce pourrait-ce que ce soit une simple ritournelle ? Ou bien un morceau de chanson à boire ?

Si ce n'est de la joie, cela en a pourtant le parfum et l'odeur, et la ressemblance est troublante.
Je suis donc... Joyeuse aujourd'hui ? Voilà qui est une première.

Cette journée possède un je-ne-sais-quoi qui la rend étincelante.


Là. Sur le côté. Dans la petite cour de la maison à la lanterne.
Une pousse de Calligramme Jaune.
Je ne pensais pas qu'elle poussait aussi sur le continent. Si j'osais, je m'y aventurerai pour la récupérer discrètement.

Oh, et puis qui vais-je tromper en évoquant une hésitation à le faire ? Comme si j'allais me gêner.
De plus, à en voir la façade et... Le reste, cette ruine est abandonnée depuis des années.

Plus de portail. Se pourrait-il que cette maison ait été vidée de ce qu'elle contenait encore par des pilleurs de ruine ?
Ses murs empestent l'argent, je ne serais pas étonnée de constater que ses habitants aient désertés Meliadus pour un endroit plus confortable, comme la côte Est, ou une quelconque location où se trouverait une maison secondaire probable où il est plus aisé de vivre.
Plus aisé de vivre... Sans toute cette suie, ce charbon, sans toute cette pollution et ses effluves nauséabonds qui empestent ces rues.

Siiiiiiiiiiiiiiiigh

Je crois que j'ai le mal du pays, pour la première fois depuis longtemps.
C'est vraiment une journée étonnante.


Je me suis approchée, pour recueillir la pousse de Calligramme Jaune.
J'ai poussé du pied un panier se trouvant devant la porte, et je me suis mise à genoux devant la plante. A l'aide d'une dague, j'ai déterré la pousse et je l'ai glissé soigneusement dans mon sac.

Peut-être pourrais-je faire des boutures, plus tard. La maison que j'utilise en ce moment possède un petit jardin qui serait tout à fait à même de pouvoir contenir une culture locale de cette espèce particulière.

Il y a tellement d'usages possibles de cette plante que je pourrais vivre uniquement sur sa vente.

" Vous m'entendez ? S'il vous plaît est ce que vous pourriez pousser le panier contre la porte et vous éloigner. Je vous en prie. Je vous en prie"

Une voix. La maison n'est pas abandonnée ? Ce doit être une squatteuse, une pauvresse qui emprunte momentanément les lieux pour vivre décemment.
Aussi décemment qu'il soit possible de vivre dans un endroit pareil, j'imagine.

M'éloigner ? La pauvre a peur de moi.

Elle a raison.

Je pourrais la tuer si rapidement. Il me suffirait d'entrer et de lui sectionner une artère.
Mais pas aujourd'hui. Pas par un si joli jour.

Il me faut prendre le troisième visage. Celui de la jeune femme aimable et sociable.
Si je me rappelle bien, sa démarche est plutôt mal assurée. Cela donne confiance aux gens qui lui parlent.
Quant à sa voix, douce mais lente, comme si elle réfléchissait à ce qu'elle va dire, hésitant et buttant sur les mots.

Voilà, je serai donc cette jeune femme jusqu'à mon départ.
Essayons.

« Excusez-moi, il y a quelqu'un ? J'ai vu une plante sur votre seuil et je... J'ai pris la liberté de la récupérer... »

Bien. Maintenant, le sujet du panier.

« Si vous voulez votre panier, pas de soucis, il est toujours là, ne vous inquiétez pas »

Oh, oui. Ne vous inquiétez pas. Oh, nous ne voulons pas d'inquiétude, pas vrai ? C'est bien la dernière chose que nous souhaitons.

Si elle ouvre, je lui exprimerai ma gentillesse avec un sourire faussement sincère et mon plus beau visage. Celui de la possible amie de confiance.

Je pourrais partir si je le désirais, mais voilà qui est fort amusant.

Mais...c'est une voix de femme qui répond.
Je ne sais pas où est passé le jeune homme.
ça ne me rassure pas plus que ça depuis "les évènements"
Les êtres humains sont mauvais et on ne peut pas leur faire confiance.
Souvent mère me montrait le bras de Matilda pour me le rappeler.

Alors j'ouvre juste la lucarne, pas la porte. Il y a des barreaux pour ça.
Je montre mon visage, ma peau laiteuse, mon regard vert méfiant.

"Pourquoi vous êtes dans mon jardin, il y a pas de porte mais c'est mon jardin"Je regarde la fleur entre ses mains, ce sont les fleurs de mère, elle aimait leur couleur, elle me disait que ça lui rappelait son enfance.
Moi çq me rappelle mère.
Je renifle, à mi-chemin entre la venue de larme et la désapprobation.
" Ce sont les fleurs de de m..m..ère! Vous avez tué la plante!"
Je me tais aussitôt, elle est étrange cette femme, visage doux, voix mielleuse mais au fond des yeux un truc... inquiétant.
Un peu comme le serpent qui charme avant de vous planter les crochets.
J'ai vu ça dans mes livres, un des livres de la grande bibliothèque du salon.

Derrière moi mes pendules se mettent à sonner toutes en même temps et les automates jouent leur musique.
J'ai faim c'est l'heure du repas.
Je regarde mon panier, si près et encore trop loin.
A cause de cette intruse.
Un de mes pieds cogne le sol, un coup sec. Contrariété.