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A peine quelques ruelles et nous sommes arrivés devant un resto asiatique.

J’ai toujours aimé l’ambiance et la bouffe, parfois canine parfois aux parfums délicieux et si particulièrement félins.
Du chat dans le Canigou, c’est pas très raffiné dans l’assiette mais quand ça passe sur le palais, on se dit que dieu existe et on mâche en savourant chaque instant, pas question d’en gaspiller, et quand vient le moment d’avaler, quel délice…
Une gorgée de Jack D. pour pousser l’tout, c’est un peu comme tirer la chasse dans les chiottes… On se sent plus léger.

La vengeance est un plat qui se mange froid ( :p)

Je l’ai supporté jusque-là, marchant clopin-clopant. On n’a pas l’air frais. J’ai poussé la porte, conduit à cette petite table au fond, là où la lumière se tamise et donne un air intime à un endroit qui n’a rien d’intime.
J’suis galant, j’ai appris les manières, les bonnes pour se tenir en société. Une… nécessité professionnelle. Mais pas dans ce cas, pas avec elle. Elle, c’est autre chose.
Je l’ai aidé à s’installer confortablement prenant soin d’elle comme s’il s’agissait de la prunelle de mes yeux, et j’ai fait pareil, je me suis posé
Enfin…

J'ai pas décrocher un mot. Pendant tout le trajet, rien n'a pu filtrer, un peu paumé surement.

J'ai l'esprit un peu embrumé. J'ai l'impression de faire tout au ralenti. Me rhabiller péniblement et sortir de chez le toubib m'a paru une éternité.
Las tout les deux, on n'as pas pipé mot de tout le trajet, ça en devient presque gênant, mais je crois qu'on a chacun nos pensées à ressasser.
Cette ville n'est décidément pas très belle, je me demande où il m’emmène, il a l'air de connaître un peu le coin.

Nous rentrons dans un restaurant qui semble servir une étrange nourriture. Je suis un peu intriguée, mais guère à l'aise. D'aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais été dans un restaurant...
Un peu méfiante, je jette des regards par-ci par là, avec une curieuse impression d'être détaillée par des autres clients.
Lui reste vraiment gentil, prévoyant, galant même, je me demande ce qu'il me trouve et ce qui le pousse à agir ainsi.

Je m'agite un peu sur ma chaise, je meurs de soif. Heureusement un serveur arrive et propose des rafraîchissements. Tandis que lui semble opter pour un alcool fort, je m'en tiens à l'eau. Je crois que je vais en avaler un litre entier.
Rien que formuler mon choix devant la serveur m'a demandé un effort. Je ne suis déjà pas très bavarde d'ordinaire mais ici, en territoire inconnu et parmi plein d'étranger..

Je préfère me retrouver en tête à tête avec Speaker. Je me mordille légèrement la lèvre inférieure. Il faudrait un peu lancer une conversation, je commence à me sentir nerveuse. Je me lance.

Pourquoi rester, avec Melian? Personne qui attend, quelque part?

J'ai gardé les yeux rivés vers la table, dans le vague. Maintenant que je me retrouve face à lui, vraiment seule, et plus en situation d'urgence, je retrouve un peu mes manières distantes.

Je la sens nerveuse, pas besoin d’avoir fait dix ans de psycho pour s’en rendre compte. Son regard observe tout autour d’elle et partout en même temps. Elle est aussi à l’aise ici, qu’un poisson jeté sur la terre.
Je pose une main sur la sienne, juste comme ça, pour la rassurer détendre l’atmosphère. Un geste pour rassurer, c’est pourtant peu de chose une main posée sur une autre, un peu de chaleur échangée, un contact furtif, léger, de peau à peau, rien qui ne mérite un procès, pourtant, c’est un  geste suprême dans certain cas.
Sa peau est douce, sa main fine et fragile, on dirait et quand je regarde la mienne.

Je lui souris, autant que je peux, et c’est un peu, pas le cœur, pas encore peut-être dans un moment après un verre ou cinq, quand l’alcool emportera dans ses vapeurs enivrantes tout ce qui reste de conscience, en tout cas suffisamment pour ne plus penser et endormir le reste, ce qui blesse et fait remonter la bile dans la gorge.

De l’eau… pour mon poisson jeté sur la terre…
Un Jack Daniel’s pour moi, et je réclame mon dû, la bouteille et pas qu’un peu.

Cul sec.

Je me ressers la même chose à la santé des autres, tous ceux que je vais liquider dans le quart d’heure et l’heure suivante.

Maintenant, ça va mieux, on peut parler.

Personne.

Et toi, petite fille égarée, que fais-tu à l’air libre… ici, c’est pas vraiment ton monde
D’où venez-vous toi et ton accent ?

J’ai parlé à voix basse, une voix calme, un peu pour ne pas l’effrayer, un peu parce que… j’en sais rien, elle inspire une forme de tendresse, tant de douceur, je me sens en sécurité, j’ai même pas besoin de regarder le va et vient des gens qui entrent et qui sortent. C’est rare, la confiance.
Je sais qu’elle ne me ferait pas de mal, et je la sais plus en danger avec moi que sans moi.
Mais, je vais faire attention à toi petite porcelaine.

Il pose sa main sur la mienne, doucement. Je tressaille avant de me figer en fronçant très légèrement les sourcils. Je fais un effort pour ne pas retirer brusquement et automatiquement ma main. C'est ce que j'aurais tendance à faire instinctivement.
Je me force à la laisser là, à apprendre le contact, à ressentir ce qui passe dès lors non plus par les mots, mais par le reste. Ce n'est guère évident, mais je finis par apprécier un tant soit peu, d'autant qu'il me sourit toujours, comme pour me rassurer. Et ça, j'apprécie aussi, même si je n'en ai pas l'habitude.

L'eau me fais du bien, je me sens presque revivre, le liquide qui dévale dans la gorge et la sensation de fraîcheur au creux de l'estomac. Lui boit aussi, mais quelque chose de plus fort, de plus apte à embrouiller son esprit pour calmer les images de ces derniers jours..

Je souris, presque un peu décontenancée par ses expressions imagées, quand il rompt finalement le silence.

Non, Melian pas de ce monde-ci..
D'ailleurs, de la nature, des jardins et du temple, quand Snjor pas encore dans les airs.
Mais depuis toujours Melian... ,je cherche le bon mot pour expliquer, mais les mots souvent ne suffisent pas, ...différente.

Je m'interrompt, en proie au doute, comme si j'en avais déjà trop dit. Ne pas trop dévoiler, on souffre moins comme ça. Même si lui semble bien, semble ne pas vouloir de mal. Tout ça est encore trop nouveau pour moi pour que je puisse me livrer plus.

C’est amusant sa main qui se crispe sous la mienne sans jamais s’abandonner...
De quoi as-tu peur chaton...? je me le demande...
Quel étrange personnage, il émane d’elle un charme, quelque chose de séduisant, quelque chose qui me plait…

Quand elle boit, son visage s’illumine… et ça, c’est pas banal, boire de l’eau et faire cette tête-là, je pensais pas voir ça un jour, alors je souris en avalant mon verre d’alcool.
En m’imaginant dans son regard, je me demande ce qu’elle fait ici avec moi… on est si diffèrent, elle aime l’eau et moi le vitriol, je me trimbale avec un flingue et elle porte un habit de curé, elle parle de jardin quand moi je pense poker et As de cœur.
Alors,  je lâche la question qui le brule les lèvres…

Pourquoi m’avez-vous fait confiance ?

Et puis, ce détail que je n’ai pas envie d’oublier, que ma curiosité me pousse à lui demander :

En quoi êtes-vous différente ?

Parce que tu as l’air confus petite fille… et parce que j’ai pas envie de te perdre comme je l’ai perdu elle. Et parce que je me laisserai arracher un doigt pour qu’il ne t’arrive rien.
Sur ces belles paroles, je siffle un verre de plus, un pas de plus vers l'ivresse et bientôt la nuit et tous les chats sont gris.
Je me ressers un Jack Daniel's sur la glace qui tinte contre la paroi de verre. La maladresse brutale commence à s'emparer de mes gestes, bientôt ma vue s'embrumera et ma tête pèsera aussi lourd qu'un moteur 6 cylindres, mais mon âme elle, sera aussi légère qu'une paire de nuage qui jouent à saute-mouton dans la voie lactée.

Il commence à sourire. Est-ce moi qui l'amuse? Est-ce qu'il se moque? On ne dirait pas pourtant, ça a l'air d'être juste un sourire, normal. Je l'espère.
Peut-être que c'est aussi ce qu'il boit. Je sais que l'alcool peut avoir ce genre d'effet...

Il pose toujours des questions, des questions étranges, qui me force à m'interroger sur moi-même! Il est insistant, mais comment ne pas y répondre? Je ne sais pas, j'hésites. Que faire maintenant..
Me détendre. Ca va aller...

Mes yeux se posent sur la table. Son verre. Il s'est resservis mais n'as pas tout bu. Prise d'une impulsion qui n'est absolument pas réfléchie, j'attrape son verre d'alcool encore à moitié plein et le porte à mes lèvres. Une dernière hésitation et j'engloutis le reste du liquide en 3 gorgées.
Je repose le verre un peu brusquement, le rouge me monte un peu aux joues en croisant son regard.
Une grande inspiration, je tousse un peu et finalement ça va mieux, je suis prête à lui répondre.

Confiance? Ne sais pas, pas trop le choix, pas envie de rester seule.

Des mots lâchés comme un aveu.
Mais vient une autre question, trop personnelle celle-là. Trop curieuse.
Je me braque à nouveau, je retire brusquement ma main toujours sous la sienne.

Pas comme les autres, compliqué. Pas important.

Mon regard est revenu vers la table, dans le vide. Je picore quelques amuses-bouche que le serveur a amené avec. Je n'ai pas très faim, je suis fatiguée, et je crois bien que j'ai fini par gâcher l'ambiance avec lui.

Doucement, c’est pas de la p’tite bière !
Ça se déguste ce genre de chose
Et surement pas comme je le fais, en avalant cul-sec, mais je suis un mauvais exemple comme toujours, mauvais élève, mauvais exemple, mauvais…

Eh-Oh, j’vais pas la mordre ta main !
Du calme…

Je suis trop indiscret probablement, et la confiance qu’elle a en moi, je viens de la prendre dans les dents : « pas trop le choix ».
Ok Trapp, t’as noté la tournure, c’est une question de timing, autrement dire, j’étais là, elle a vu de la lumière, elle est entrée.
Je suis vexé, et déçu évidemment d’être celui qui est là, juste celui qui est là
J’aurai préféré être la bonne personne pour une fois.

Vous permettez ?
Je reprends mon verre parce que boire à la bouteille, c’est pas des bonnes manières.

Cette île et toute cette histoire commencent vraiment à me gonfler, mais je perds pas patience, pas cette fois. Par contre, je vide encore un peu la bouteille de Jack pour remplir mon verre, et puis un autre derrière parce que c’est une question de survie maintenant.

J’bois du p’tit lait mon cœur, même si tu fuis mon regard sur la table, le mien chercherait plutôt sous la table…
Je suis un homme, j’ai des besoins et vitaux, les trois petits cochons se réveillent dans ma cervelle disjonctée par l’alcool, tout ce que j’aime, l’ivresse et j’ose tout, même lui faire le coup de la panne dans ce putain de resto…

Je pose mon verre sur la table, il claque sa cruelle vérité, le vide sans même un glaçon pour remplir l’espace. Mes yeux dans son regard et ma main sur son genou…
Pas celui-là, l’autre, celui qui n’a pas mal, celui qui reste sensible à la chaleur, à la douceur de la peau… et j’ai les mains douces surtout avec les femmes.

Je sourie, ivre et conscient de ce que je fais.

Lui aussi s'est refermé. Je le sens bien. Il ne pouvait en être autrement. Je n'ai jamais été douée avec les autres. Il a toujours été plus facile de me les mettre à dos que d'établir une relation.
Renfrogné, il recommence à boire.
Moi, je suis gênée. Je ne peux plus rétablir la communication. Trop fastidieux. Une perte de temps qui me mènera vers l'échec. Et puis je suis si fatiguée là tout d'un coup.

Au fil des gorgées, quelque chose semble changer chez lui. Une lueur plus... joyeuse peut-être?
Il repose son verre brusquement, souriant maintenant et me fixant presque d'un air provocateur, malin, amusé en tout cas.
Je met quelques secondes à comprendre, à sentir.. sentir sa main chaude qui s'est insinuée sous la table, sous mon ample vêtement jusqu'à venir se poser sur mon genou.

Une alarme de danger se déclenche quelque part dans mon esprit. Je sais que l'alcool peut rendre violent. Je retrouve mes instincts de proie et cherche une fuite, une solution.
J'ai perdu mon petit couteau dans les sous-terrains de l'île, mais nous sommes dans un restaurant après tout, et un couteau, il y en a sur la table.
Avec rapidité, je m'empare de l'objet tout en essayant le plus possible de m'éloigner de la table pour échapper à son contact, en m'appuyant sur ma jambe valide.

Bas les pattes! Dahlia raison, monsieur Trapp juste un profiteur. Tssssssssssss

Je pointe le couteau dans sa direction, en geste de défense. Mon coeur bat à tout rompre, moi qui n'aspire qu'à dormir.. Au pire, je peux toujours hurler, mais aux mains de qui je tomberais alors?
Je tente de calmer le jeu, je commence à avoir peur de trop attirer l'attention.

Trop bu ce soir. Devoir dormir. Trouver deux chambres.

Ca y est, je flippe pour de bon, je regrette de n'avoir pas attendu Lindblum chez le docteur. Mais qu'est-ce qui m'a pris?

Dhalia ? Mais de qui parlez-vous ?
Qui est-elle ?
Ah... L’autre… chose…
Hum… j’ai oublié !

Tout ça commence à m’amuser, enfin…
J’ai failli m’ennuyer, mais là, c’est très drôle et j’amuse et je ris trop fort, ivre, la voix et les mots plus forts que la pensée, trop arrogant, je suis comme un poisson dans l’eau. Ici, c’est mon domaine, mes petites affaires qui trempent dans l’alcool et la nuit, je nage en territoire conquis et toi petite fille, tu es ma proie, la fille d’une nuit, celle de ma nuit qui ne fait que commencer…
Mais c’est vrai, c’est presque indécent de rire de cette façon, mais la vue de son couteau… de table !...
J’échange rire contre sourire accueillant, un instant de honte ? Ou un geste rassurant pour dissimuler mes intentions ?
Qui le sait
Moi
Et je sais cacher mon jeu, un As du poker menteur.

Je la vois se débattre, reculer, menacer avec ce couteau ridicule, effrayée par moi, et ça aussi, c’est amusant, moi qui n’ai jamais levé la main sur une femme, ou bien une claque pour lui rendre la sienne.
Je pourrai la désarmer si facilement, elle est si faible, blessée, surement un peu ivre déjà, et moi l’alcool me donne des ailes
Mais, pas à elle
Même ses mots sont maladroits
Mais soit, ses désirs sont des ordres et si elle veut qu’on aille s’enfermer dans une chambre, tous les deux… je vais pas dire non.
Elle a dit deux chambres ?
J’ai rien entendu.

C’est ce que je dis au serveur, discrètement pour pas qu’elle entende « une chambre pour deux… et un repas servi dans la chambre, pour deux ».

Vous venez ?

Je le lui tends la main et le sourire qui va avec,  mon nouveau rôle, béquille pour dame.

Et posez ce couteau, vous allez finir par blesser quelqu’un

Mon autre main saisie la bouteille de Jack Daniel’s, elle, pas question de l’oublier.

J’allais oublier, vous êtes délicieuse quand vous êtes en colère…

Il rit. Il rit et moi je désespère. Je suis perdue, je ne sais pas que penser de mon interlocuteur. Je sais qu'il n'est pas méchant, mais je crains les effets que l'alcool peut avoir sur lui.
Il s'amuse de la situation, je le vois. je n'aime pas, j'ai tendance à prendre ça comme une moquerie et je n'aime pas du tout.

Je crois que je reste un peu interloqué quand il change brusquement d'attitude et me tend la main pour que je le suive, juste après avoir demander des chambres au serveur. Hébétée et sans trop en avoir pris la décision, je me lève finalement et le suis sans opposer de résistance..

Le couteau?

Ha oui... je.. hum..

Je repose l'objet, je me sens un peu bête tout d'un coup, je ne suis plus en mesure de réfléchir posément. Et pourquoi diable est-ce que je me met à sourire à sa remarque sur le fait que je mette en colère? Reprend-toi ma fille!
Mais ma fatigue est cette fois plus forte que ma volonté, qui finit par abdiquer.
Je me laisse conduire jusqu'à la chambre que nous as indiqué le serveur, en silence.

Ce n'est que lorsque je me retrouve dans la chambre et qu'il ferme la porte derrière nous que je comprend. Je regarde le grand lit.. Je me retourne vers lui d'un air las en secouant la tête.

Non... non... Vous...

Je soupire et titube, au bord de l'épuisement. Des larmes de rage et d'incompréhension viennent perler au coin de mes yeux. Vaincue, je me laisse tomber sur le matelas. Affalée sur le lit, je me recroqueville sur moi-même en fermant les yeux.
Le noir. Le calme.
Advienne que pourra.