Le moulin aux milles Lys

J’ai hésité un moment à balayer la question de la main. De changer de sujet. Peut-être lui donner une réponse vague qui pourrait le satisfaire momentanément. Que sait-il ? Quelles informations peuvent lui parvenir, au milieu de cet océan et de ces quelques robots qui y naviguent ?

Personne n’est mort.

Voilà qui n’est pas exactement une réponse. Mais voilà qui n’est pas non plus exactement un mensonge ou une demi-vérité. Suis-je en train de me justifier ? Ce n’est pas ce que je devrais faire, et pourtant je n’ai pas pu m’en empêcher. Est-ce bien le moment ? Ai-je besoin d’énoncer les évidences ?

Ils avaient ton adresse. Ils ne l’ont plus. Je n’étais pas seul.

Non. Non, Cliff. Raconte-lui. Tout. Depuis le début. Raconte-lui !

Tes dépôts sont toujours légaux et valides. Tout est sous contrôle.

Ce n’est pas ce que tu devrais dire ! Raconte-lui ! RACONTE-LUI !

Je suis resté silencieux. Dehors, les Lys battent doucement la cadence de la brise, et disparaissent dans les ombres qui s’étirent sur les plaines, le soleil et sa lumière déclinant sous l’horizon, comme pressés sur le monde.

Pendant un instant, une vague de haine déferle sur moi et brise les remparts de mon esprit. Au diable les non-dits ! Au diable son foutu mutisme et son impassibilité monstrueuse ! J’ai vacillé sous la force de son assaut, pris quelques secondes pour récupérer mon calme. J’ai griffé nerveusement la table, avant de me reprendre.

Ce n’était pas ma question.

Impossible d’en tirer quoi que ce soit. Cliff est un instrument de musique à une seule corde, ce qui est un drame et, avouons-le, une erreur dramatique d’ingénierie musicale.

J’ai tiré plusieurs litres d’eau tiède dans un grand récipient ; Une bonne excuse pour me donner le temps de retrouver sourire et bonne humeur.

Laisses tomber, ça n’a aucune importance ! On en reparlera plus tard, d’accord ? À l’occasion ! Rien ne presse !

J’ai fermé le récipient, pour donner le temps à ma phrase de toucher sa cible. Mais ce n’est que la première salve. Le premier tir est pour l’esprit, le deuxième doit fendre à travers le cœur. Dos à lui, j’ai effectué un léger mouvement de tête pour imprimer une image de mélancolie, avant d’encocher soigneusement ma deuxième flèche.

Merci pour ton geste. Tout ce qui peut me faire gagner du temps est bien à prendre… J’imagine. Merci.

Si l’infection prend et se développe, pousseront des racines de remords, leur pied solidement planté dans l’esprit têtu et muet de cet idiot.

Ah, au fait ! Au grenier, il y a tout ce dont vous avez besoin. Deux matelas, plein de draps, d’oreillers… N’hésite pas à préparer tout ce fatras quand tu en trouveras le temps.

༄

Tout se passe bien ?

J’ai traversé, penché, le monstrueux méandre de méli-mélo-métallique-mécanique pour y trouver Lou, vivant sa meilleure vie de magicienne, à l’éclat de petit lampions. J’ai déposé le broc d’eau fermé à ses côtés, loin de toute chose fragile.

C’est très festif, ces petites lumières. Je me dois tout de même de te prévenir, il est un peu tard pour faire venir la fanfare locale : ils ont été dissous il y a vingt ans.

Posant la paume de ma main sur la planche, j’ai laissé y venir l’araignée dans son creux, sans la brusquer.

Je vois que tu as fait connaissance avec Pénélope. Pénélope, dis bonjour à la dame et prie pour ne pas être un des composants essentiels de sa mixture mystique.

Levant la main, j’ai observé les mandibules de l’araignée s’agiter. Effectuant des gestes scandalisés, outrée par l’audace d’être ainsi manipulée par un être inférieur pour sa petite satisfaction personnelle, elle semble ne pas apprécier ma compagnie.

Ne fais pas l’erreur de croire que c’est un insecte. C’est un arachnide. Elle y tient.

Il faut dire qu’elle se vexe bien trop facilement à mon goût.

Tu as toute la place qu’il te faut, Lou ? Tout est à ta convenance ? Je peux demander à un de mes robots de te prêter main forte, s’il le faut. Ce n’est que l’affaire de quelques minutes.