Compte rendu Administratif ?

Je déteste être choisi pour cette corvée. Pourquoi est-ce qu'à chaque fois qu'on tire au sort, ca me tombe sur le coin de la poire ?
Certains se sont permis de dégainer le petit sourire en coin, celui qui indique de maniére délibérée que son propriétaire est heureux de ne pas être à ta place.

J'aimerais bien ne pas être à ma place.

J'ai traversé, un peu tremblotant, les couloirs de l'administration, et je me suis planté devant la grande porte.

Inspire, expire. Courage. J'ai frotté nerveusement mon trombone en pendentif, et de l'autre main, j'ai vérifié le dossier. OUI il est bien complet et OUI je n'ai rien oublié. Ce n'est que la treiziéme fois que je vérifie.
Toutes les sources sont formelles, aucune erreur n'est possible. Je ne le dérange pas pour rien.
Courage.

J'ai remis le dossier sous mon bras, et j'ai levé la main pour toquer.
La secrétaire étant absente, aucun autre moyen de le prévenir que la bonne vieille méthode.

J'ai toqué. Trois fois.

On me dérange toujours quand je travaille. C'est un manque de chance assez étonnant.

« Entrez. »

Je n'ai pas levé la tête quand le petit homme est entré. Un fonctionnaire parmi tant d'autres, comme toujours. Ils ne sortent jamais du lot.
C'est une armée comme une autre aprés tout. Ils sont fonctionnels, c'est tout ce que je leur demande.

« Des nouvelles du front ? Ou du nouveau budget ? A-t-il été ratifié ? »

Cela m'étonnerait qu'ils me dérangent pour quelque chose d'habituel, ou ils auraient attendu le compte rendu quotidien de ce soir.
J'ai levé les yeux, intrigué, sur le petit homme tremblant à la calvitie naissante.

J'ai traversé son grand bureau pour venir me planter devant lui. Le président étant occupé à travailler, il ne daigne même pas lever les yeux sur moi. Pas un bonjour, pas une salutation, rien. Rien qu'une pause pendant laquelle je reste planté, debout, nerveusement mon dossier à la main.
Je n'ai pas osé prendre place dans une des deux chaises disposées devant le bureau, il pourrait le prendre comme une marque de familiarité de prendre des initiatives.

« Des nouvelles du front ? Ou du nouveau budget ? A-t-il été ratifié ? »

Puis, enfin, il a levé les yeux sur moi, comme pour m'intimer à parler.

« Rien de tout cela, monsieur. C'est autre chose. Il y a... Quelque chose d'étrange monsieur. »

J'ai baissé les yeux, et j'ai serré le dossier encore plus fort contre moi.

« Certaines sources ont déclaré qu'il y a de l'agitation sur une des iles de l'archipel, monsieur... Certains auraient déclarés avoir vu une ile entiére, enfin... »

J'ai tapé mes deux pieds l'un contre l'autre.

« Certains ont déclarés avoir vu une île volante. Qui serait propulsée par une technologie inconnue... Monsieur. »

« Ridicule. »

Impossible. Inconcevable. Mes espions me l'auraient communiqués bien plus tôt.

« On ne posséde pas encore la technologie nécessaire à une telle machine. On peut faire des petits avions individuels, mais le reste cafouille encore. Et ca m'étonnerait que les Maritimes puissent faire mieux que nous. Vous le savez très bien, un dossier à ce sujet fut encore validé la semaine derniére par vos services. »

Encore un mythe urbain propagé par les paysans et autre affabulateurs.

« Maintenant, veuillez sortir de mon bureau. J'ai beaucoup de travail et j'aimerais qu'il soit constructif. »

Une telle machine, ce serait un rêve... Mais qui pourrait y croire ? Soyons sérieux deux minutes.

J'indique fermement la porte au petit fonctionnaire.

Il me met dehors ? Sans plus de détails ?
J'ai bafouillé deux trois excuses, j'ai déposé le dossier sur la table, et j'ai détalé.
Le président n'a qu'à lire le dossier lui même.

Quel soulagement d'être enfin dehors, loin de ce grand bureau, loin de ces deux portes, et loin de lui.
Je vais pouvoir retourner taper mon rapport. Tranquillement.

Le dossier est épais. Mais je n'ai pas le temps de m'en occuper maintenant.
Quoi que. Il me nargue. Avec sa petite couverture épaisse.

Peut être... Juste le feuilleter rapidement ?

... ... ...
... ... ...

Bon dieu.

Certains ont même réalisés des photographies.
Si cette chose, cette île volante existe, elle pourrait nous permettre de réaliser de grandes choses. Il nous suffirait de mettre la main dessus.
Nos ingénieurs feraient des merveilles....

La guerre s'éternise. Pour une paix durable, il serait interessant d'arriver à enfin prendre de l'avance sur les Maritimes. Et quoi de mieux pour prendre de l'avance qu'une nouvelle arme redoutable ?

En controlant le ciel, nous pourrions déverser le feu de l'enfer sur les archipels voisins, et enfin gagner la guerre.

Nous controlerions le ciel. Puis le monde. Le monde tout entier. L'empire continental Et maritime. Un seul Empire.... Le rêve absolu!
Et ce serait la paix.

J'ai couru vers la porte, et j'ai voulu appeler de nouveau le pauvre garcon de tout à l'heure, mais maintenant, face à 50 fonctionnaires ayant tous grosso modo la même apparence, je suis incapable de me rappeler de qui il est.

Oh, peu importe. J'en ai désigné un au hasard.

« Toi. Je veux que tu contactes le service politique et l'agence des services secrets pour récupérer un maximum d'informations sur tout ce qui touche de prêt ou de loin à l'île volante, à ceux qui l'ont vu et surtout, à son créateur. Je veux tout savoir sur son créateur, tout. Peut être il-a-t-il des failles à exploiter. »

Mon doigt s'en va sur un autre.

« Toi. Je veux que tu contactes l'armée afin qu'ils discutent d'un plan ou d'un moyen de récupérer cette île. Et sans l'endommager. »

Et un autre.

« Quand à toi, tu va aller me trouver tous les scientifiques et les ingénieurs du coin, et ils vont aligner sur papier toutes les applications auxquelles pourraient servir une invention de ce genre. Que l'on soit sûr de ne pas s'engager sur une piste inutile. »

J'hésite pour le dernier. Envoyer un émissaire sur l'ile volante pourrait être une bonne idée, mais nous ne possédons pas encore assez d'informations.
Non. Ca attendra. Pour l'instant, on va tout mettre en place, et quand le moment viendra...

« Allez. Au travail tout le monde. Et c'est urgent, donc plus vite que ca. »

Ils sauront se débrouiller. En attendant, j'ai mon budget militaire à terminer.

Je hais ce monde.
Depuis l'instant où je suis né jusqu'aux dernières secondes que seront mon existence. Depuis la première bouffée d'air fraîche et le premier hurlement jusqu'à la dernière expiration d'air vicié et le dernier soupir qui l'accompagnera. Ma haine sera toujours à quelques pas derrière moi, traînant dans mon sillon et le fond de mes chaussures usées, quelque part entre les ombres et les remords.

Je hais ce monde. C'est cette haine qui a fait l'homme que je suis aujourd'hui, l'homme de pouvoir que je suis aujourd'hui. Si elle se trouve en moi j'ai aussi prit grand soin de la transmettre dans le moindre circuit, dans le moindre engrenage de notre société.
C'est la haine et la peur qui font que notre Empire marche si bien. C'est la haine et la peur qui font les bons citoyens et les bons travailleurs, se levant chaque matin de leur vie pour travailler et se soumettre à nos lois, à nos envies et nos priorités. Les nôtres, pas les leurs.
Et cette haine, aujourd'hui, c'est un échec qui la nourrit.

Malheureusement, ce n'est pas volontaire. Ce n'est pas une haine constructive comme toutes les autres, bien au contraire.
Si mes haines ordinaires organisent et bâtissent, celle-ci détruit et déséquilibre.

L'échec de l'assaut de Snjor, et la Haine d'un peuple qui l'habite.

J'ai froissé hystériquement le classeur plein de tous ces torchons que sont les journaux locaux et je l'ai lancé violemment contre la poubelle.
« SNJOR, aperçu dans le ciel de GRIP. Fin d'une rumeur. »

Maintenant, tout le monde sait. Snjor existe. Et j'ai échoué.
Le conseil de guerre veut des réponses, des justifications sur les erreurs qui ont conduites à cette défaite.
J'ai essayé de me défendre face aux accusations, aux aboiements. Faire la guerre sur plusieurs fronts simultanés n'est pas chose aisée et l'Empire Continental est si grand. Ce n'était pas possible d'amener plus d'engins de guerre que ce qui fut fait dans un délai aussi court.
Nous avons fait de notre mieux. Et ce ne fut pas suffisant.

Ma position, hier confortée et confortable, est aujourd'hui compromise, et je ne peux plus rien dire sous peine de fragiliser encore davantage ce siège éjectable qu'est le miens.
Plus je perds de pouvoir et d'influence et plus le conseil de guerre en gagne.

Dieu, que je hais ce monde, et pour une fois, je ne peux rien faire d'autre avec cette haine que de la conserver en moi, jusqu'à ce que je pourrisse, jusqu'à ce que je perde tout ce que j'ai mis tant de temps à gagner, tant de temps à obtenir et construire, jusqu'à ce que mon monde soit entièrement détruit pour une seule erreur dans ma longue carrière, jusqu'à ce qu'il ne reste rien.

J'ai balancé tout ce qui se trouvait sur mon bureau par terre et j'ai saccagé le reste de mon bureau, puis je suis sorti fumer une cigarette.
Demain, je ne viendrai pas au bureau royal. Je ne vois pas pourquoi je devrais me faire chier pour des ingrats. Dix ans, dix ans à passer à trimer comme un fou pour élever cet empire à ce qu'il est aujourd'hui. J'imagine que cela ne servait à rien.
Et peut-être que je finirai par disparaître ou perdre ma place... J'aimerais tellement que l'Empire s'écroule si c'était le cas, juste pour leur prouver qu'ils sont incapable de se débrouiller sans moi. Ah !

Demain, je ne viendrai pas au bureau royal....
Dieu, que je hais ce monde.

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