Citation :

J’ai encore rêvé de toi cette nuit.
Tu m’appelais.
J’étais subjuguée.
Tu m’as tendu la main et moi, je te tendais la mienne.
Nos doigts se sont frôlés et j’ai failli te toucher pour de vrai.
J’ai cru pouvoir me hisser jusqu’à toi, comme ça, d’un claquement de doigts.
J’étais si près.
Mais j’ai chuté.
Dans le vide.
Inévitablement.
Comme à chaque fois.
Snjór …
Un jour je me hisserai jusqu’à toi !
Et cette fois là ce ne sera plus une utopie mais une réalité !

C’est en relisant les notes de mon songe de la nuit dernière que je marchais dans la ville, le cœur encore endormi, mais les pensées bien éveillées. Je venais de me lever quelques minutes auparavant et, au pied du lit, il me fallait sortir de cette chambre étouffante pour m’aérer les méninges.
Mon calepin en avait vu des vertes et des pas mûres. Il m’était l’un de mes biens les plus précieux. Il était mon carnet intime, l’endroit où mes pensées et mes rêves se retrouvaient couchés sur du papier bien réel afin de ne rien oublier.
Toujours obnubilée par la même chose, Snjór …

Il faisait déjà chaud à cette heure de la fin de matinée. Heureusement une petite brise marine rafraichissait quelque peu l’atmosphère. Au moment où je fermais mon calepin, j’ai débouché sur l’artère principale de Cor Caroli. Déjà blindée de monde, la vie de la rue battait son plein. Cette ville me plaisait pour ces raisons. L’ambiance insulaire et la vie toute simple. La chaleur étouffante des après midi et la douceur de ses soirées.

En fait j’ai pas vu le pilier qui m’a envoyé valdinguer comme une herbe emportée par la brise. Je me suis retrouvée le cul par terre sans m’en rendre compte. Au moment où j’allait me mettre à aboyer pour engueuler celui ou celle qui m’a fait tomber, j’ai bugué.

Merde !!! Mon calepin !!!

J’ai même pas cherché à trouver l’origine de ma pitoyable valdingue, j’ai frotté ma tête rapidement – reflexe – et me suis mise à quatre pattes pour chercher sous le banc, derrière l’arbre, bref pour chercher du regard mon petit calepin.

Punaise de punaise !
C’est vraiment un jour pourri qui commence.
Faudra pas me chauffer longtemps parce que l’aiguille de la cocote minute est déjà au niveau rouge vif alors que je viens à peine de sortir dans la rue.

Inspire ma fille …
Expire …

Une voix masculine me fait sortir de ma recherche.
Que vois-je ? Mon calepin à ses côtés !!!
Ouais j'ai pas fait gaffe au gars, j’ai même pas fait attention aux mots qu’il a dit ! Je me suis juste relevée illico presto et me suis empressée de prendre mon calepin avec un air furax et le regard-mitraillette qui va avec.

C’est à moi !
Vous n’avez pas le droit !

Fissa je range mon bien précieux dans ma sacoche en bandoulière qui pendouille sur ma hanche. De ma main, je prends la sacoche et la tient bien fermement contre ma poitrine.
Nan mais !!!
C’est intime quand même …
Puis j’expire une nouvelle fois.

Journée de merde ... – ai-je lâché dans un soupir tout en me frottant les genoux suite à mon 'quatre-patte-roulé-boulé' sur les pavés.
Je relève les yeux sur l’inconnu qui me regarde - je ne saurai vous dire l’air dont il me regarde d’ailleurs - et me rend compte de la débilité de la situation.
T’as l’air con là !
Si si ! T’as bien l'air con !

La pression redescend quelque peu et je bredouille, du bout des lèvres, un petit :

Euhm … merci …

Faut profiter, parce que je sens que je vais pas le dire cent fois ...

Tiens un nouveau … Encore un de plus … Ces derniers jours j’avais bien remarqué un afflux de gens extérieurs à l’Archipel. Je ne sais quelle raison les pousse à venir jusqu’ici mais le constat est là.
Par contre lui est … différent. Il ne court pas partout comme les autres. Il est posé. Plutôt calme. Et serein.
Bizarre …
Il me parle de ma belle. Je l’écoute prononcer son nom.
Snjòr …
J’adore entendre le son du ‘r’ qui roule à la fin.
Il ne la connait pas. Elle est pourtant si belle. Et je me mets à rêvasser, ma besace toujours serrée contre mon cœur.

J’ouvre la bouche pour, moi-même, prononcer … Snjòr … d’une petite voix rêveuse lorsque un petit grondement annonciateur d’une grosse faim me coupe de mes pensées.

Elle est inaccessible !!!
Mais je l’aurai !!!

J’ai parlé tout haut là ?
Bien sûr je parlais d’elle à voix haute mais elle m’obsède tellement.
Il va me prendre pour une folle c’est sûr.
Mais j’enchaine.

C’est vous ça ?

Je hausse un sourcil interrogateur en sa direction.

Le ventre qui crie famine ?

Ce qui me fait penser que moi aussi je commence à avoir la dalle. J’ai pas déjeuné et, vu l’heure qu’il est, on ne doit pas être bien loin de la fin de matinée, voire du midi !
En fait oui je crève même la dalle !!! En plus l’autre avec son stand de hot dog me donne de plus en plus faim.

Si vous voulez je connais un coin sympa et pas cher.
C’est vous qui voyez  …

Je laisse en suspens ma phrase. A lui de voir si le cœur lui en dit.
En plus, curieux comme il est, j’ai une bonne chance qu’il me suive. Et puis comme ça je pourrai voir s’il connait des choses sur ma belle ou alors si c’est vraiment un touriste comme les autres.