Les membres du conseil m’ont tous regardés, sans comprendre un mot de ce que je venais de dire.

Monsieur Wiseau fit un des conseillers en relisant ses notes, Je ne suis pas certain de saisir vos propos et je pense parler au nom de tous mes collègues si je vous dis que votre discours ne fait aucun sens. Pourquoi diable nous donnerions-vous de l’argent pour faire des fouilles archéologiques alors que le problème le plus pressant se trouve être ces maudits golems ? Vous êtes un scientifique et notre Conseiller Général, vous n’êtes pas trésorier et encore moins ministre de la gestion budgétaire !

J’ai secoué désespérément les mains. La salle de conférence est pleine, mais je suis le seul à être debout, devant le podium et cette position me rend nerveux. Je préférerais être assis et ne pas avoir à répondre aux questions.

Non, non ! Pas des fouilles archéologiques, mais… Enfin si, mais… Écoutez, il nous faut ces documents. Avoir le carnet de bord du docteur Lindblum nous permettrait de comprendre comment ces golems fonctionnent, et vous savez aussi bien que moi …

Je me suis arrêté un moment. Un doute m’étreint alors que tous me fixent d’un œil mort.

Vous savez aussi… bien que moi… hum.

Pause.

Dites, petite question idiote, mais qui parmi vous a étudié l’histoire de Snjor ?

Quelques mains se sont levées dans la salle, mais aucune de la part de ceux qui peuvent voter le budget et m’allouer les fonds désirés. Grandiose… J’ai vu, au fond de la salle, mon frère s’étrangler devant ma question. Désolé Antony, mais on va faire une petite digression.

Bien, je vais vous refaire un petit historique rapide et je vais vous demander d’être attentif, c’est important.

J’ai jeté tous mes papiers et mes notes par terre.

Il y a plus de cinq-cent ans de cela, une île flottante fut inventée par un des plus grands génies qui ait eut le bonheur d’exister, le Docteur Lindblum. Cette île se nommait Snjor.
Si toutes les inventions du bon Docteur étaient impressionnantes et en avance sur son temps, l’île était celle qui attirait le plus de convoitises. Tous les royaumes n’avaient d’yeux que pour l’île volante et les merveilles technologiques qui s’y trouvaient, rêvant de pouvoir en user pour une domination globale.

Ce qui devait arriver arriva, le Docteur fut enfermé sur son ile par un groupe de soldat venus du sol
et ce fut un groupe de voyageurs qui l’en sauva, déjouant ainsi un complot ourdi par un petit dictateur mal intentionné.
La paix revint, l’île fut réparée et chacun retourna chez soi.

Cet événement fut à l’origine de la chute des deux empires qui existaient à cette époque : par un jeu de trahisons et de révolutions, le dictateur Alan S. Bloomberry fut exécuté. Les royaumes se fragmentèrent et seul l’île de Snjor put garder son intégrité.

Cinquante ans passèrent. Le génie et ses inventions vieillirent ensemble, années après années. Si le monde a changé, lui aussi. Plus amer, rancunier et moins… Vif.

Et puis, un matin, l’île eut un soubresaut. Puis deux. Puis trois. L’île sombre et s’écrase au sol, tuant nombre de ses habitants et plongeant le Docteur Lindblum dans une profonde dépression. Le responsable ? Le générateur de gravité de l’île de Snjor. L’age avait fini par avoir raison du Cœur de Gravité, épuisé de ses cinquante ans de service à devoir porter l’île entière.

Le Docteur Lindblum survécut au naufrage de son île mais… L’île de Snjor ne pouvait pas être réparée, malheureusement. Le Cœur de Gravité continuait de dysfonctionner, sous les ruines de l’ancienne île, émettant désormais des ondes de Gravité empêchant quiconque de s’en approcher. 

J’ai fait une pause et j’ai quitté le podium pour marcher de long en large sur la petite estrade.

Si l’on fait le calcul, l’île de Snjor s’est écrasée il y a cinq-cent quarante-sept ans, et le Docteur Lindblum a disparu de la circulation peu après. On ignore tout de ce qu’il est devenu, si ce n’est que peu après sa disparition, des groupes de Golem sont apparus, massacrant toute forme de vie se trouvant sur leur passage. Tout le monde se souvient de ce qu’il s’est produit à Meliadus et comme tout le monde, je prie pour que cela ne se reproduise jamais.

Mais le vrai problème reste le Cœur de Gravité. Il n’a jamais cessé d’émettre ces ondes, depuis plus de cinq-cent ans, et ce, de façon continue et constante. Il est impossible de s’en approcher pour l’arrêter ou le détruire, mais il est intéressant de noter que jusqu’il y a peu, il n’était pas réellement dangereux. Depuis dix ans, le dysfonctionnement semble avoir changé. Il augmente maintenant progressivement de façon inquiétante, allant jusqu’à menacer la sécurité de tous.

Un des journalistes s’est levé et m’a pointé de son stylo. Je suis étonné que ce ne soit pas un des membres de la commission qui soit le premier à m’interrompre.

Monsieur Wiseau essaie de nous éloigner du problème ! Ce sont les GOLEMS qui ont massacré la population ! Non pas ce… cœur ! Si un problème doit être résolu, ce sont ces foutus…

J’ai coupé son micro.

Les golems sont un problème, je ne le nie pas ! Cependant, écoutez-moi… J’ai joint les deux mains, et j’ai respiré un grand coup pour prendre un air solennel. Si le cœur continue sur sa lancée, dans quelques mois nous serons tous réduits en poussière. Il s’emballe et les effets de ses vagues se font maintenant ressentir jusqu’ici.

Le journaliste s’est rassi, visiblement frustré.

J’ai besoin de ces documents. Si nous ne mettons pas la main sur le carnet de bord du Docteur Lindblum qui détaille comment le Cœur fut construit, il nous est impossible de l’arrêter. De plus, je soupçonne le Docteur Lindblum d’être à l’origine des fameux monstres mécaniques. Peut-être que ce carnet nous apportera également une arme efficace contre les golems.

Je ne peux pas laisser qui que ce soit me poser une autre question. Je dois à tout prix terminer sur cette phrase. Je suis descendu de l’estrade et j’ai traversé l’allée au pas de course.

Sur ce, messieurs, j’ai une autre réunion à laquelle je dois assister, je vous souhaite une bonne soirée.


~

Anthony m’a rattrapé rapidement.

Encore un grand discours.

Ne sois pas amer, j’ai fait ce que j’ai pu.

…Ce que tu as pu, oui. Sans tes notes.

J’ai haussé les épaules.

Et s’ils ne votent pas ton budget ? Et s’ils ne t’allouent pas l’argent pour permettre de récupérer ces carnets ?

J’ai déjà envoyé des équipes. Il a pris un air interloqué, ce qui me fit rire. Il ne nous reste qu’une petite année à vivre, tu crois que je vais attendre que ces vieux fous me laissent agir en paix ?

J’ai frappé son épaule, fraternellement.

On va s’en sortir. On va trouver ce fichu carnet et on va s’en sortir. C’était ton idée, dois-je te le rappeler ?

CARNET DU DR LINDBLUM

2 mai
« Ce qu’il s’est passé aujourd’hui est inacceptable. J’ignore comment j’ai pu survivre à cet incident, mais je veux profiter de cette chance pour réparer mes erreurs. David, Virginie, tous ces habitants écrasés par des tonnes de pierre et de débris… »

5 mai
« Je n’arrive plus à dormir. Je ne sais plus quoi faire. Mes pensées sont confuses et je n’arrive plus à me concentrer. Pitié, aidez-moi, faites que je puisse enfin faire mon deuil et réparer mes erreurs… Laissez-moi au moins une nuit de sommeil, une seule, que je puisse retrouver mes esprits… »

11 mai
« Je n’arrive pas. Je ne me souviens pas. Le cœur s’emballe, il finira par tout détruire, et… Si seulement je pouvais me souvenir des plans originaux, alors peut-être… »

17 mai
« Mes plans ont étés détruits pendant l’abordage de Snjor, il y a des années, j’en suis maintenant sûr. Je ne peux plus me fier ni à mes écrits ni à mes erreurs… »

23 mai
« Je ne sais toujours pas comment l’éteindre, mais je pense m’approcher d’une solution. Si seulement je pouvais trouver quelqu’un pour accepter de m’aider… Depuis la destruction de Snjor tous mes anciens amis m’ont tourné le dos. Est-ce ma faute ? Ai-je commis une erreur que je suis le seul à ne pas voir ? Je sais que leurs morts me hanteront à jamais et je m’accable déjà de remords. Est-ce insuffisant ? Dois-je être encore plus rongé par la culpabilité que je ne le suis déjà ? »

17 juin
« J’en ignore la raison, mais les golems que j’envoie détruire le Cœur n’y parviennent pas. Ils finissent toujours par se déconnecter lorsqu’ils approchent du mécanisme et tombent au sol, inanimés. J’ai bien peur qu’il soit impossible pour un être entièrement de métal d’y parvenir… Je ne peux pas envoyer un être humain, ce ne serait pas éthique… »

29 juin
« J’ignore combien de temps le Cœur continuera à ce rythme. Il ne s’emballera pas plus tant que les piles de refroidissement à l’huile de Lithium tiendront le coup. C’est à la fois une bonne et une mauvaise chose. Si ces piles ralentissent la fin de notre monde, selon mes calculs ces piles finiront tout de même par se vider ! Je ne suis pas certain du chiffre final, mais mon estimation ? Entre cinq cents et six cents ans. Voilà qui me laisse le temps de préparer un plan de rechange. »

8 aout
« J’ai fabriqué une cosse corticale à base d’acier et de cuivre, comme pour B.R.U.N.O. Cette fois, cette cosse m’est destinée. Je vais numériser mon esprit… Si un corps humain ne peut pas approcher du Cœur sans être réduit en morceaux et si un Golem ne peut pas s’approcher sans s’éteindre… Alors un mélange des deux pourrait y parvenir ! »

13 aout
« Essai numéro quatre. Mon corps ne marche pas tout à fait et je ne parviens pas à m’habituer à cette sensation… L’autre souci semble être cette instabilité des golems. Le nouveau programme n’est pas au point. Il me faut l’améliorer avant d’essayer une nouvelle fois d’éteindre ce foutu Cœur. Serait-ce un problème de compatibilité ? »




Il n’y a rien après le 13 aout et je sais de source sûre qu’il n’y a plus d’autres carnets. Le bon Docteur est probablement mort.
j’ai reposé le petit carnet sur mon bureau. Lindblum n’a pas de solution pour éteindre le Cœur, pas plus que nous. Nous avons perdu trop de temps à trouver ce foutu carnet…

J’ai fini par m’endormir sur mes notes. Il n’y a plus rien qui ne puisse nous aider. Rien.

Monsieur Wiseau, voilà quelques mois, vous nous avez promis une arme contre les golems, un petit carnet. En échange d’un peu d’argent, auquel nous avons consenti de bonne grâce, vous deviez retrouver des documents capables d’inverser le cours des choses. Et vous nous aviez également fait comprendre à l’aide de vos prophéties apocalyptiques dont seul vous avez le secret que si nous ne coopérions pas, notre monde serait détruit. 

J’ai hoché la tête, sans relever les yeux.

Aujourd’hui, six mois ont passés depuis votre demande, monsieur Wiseau, et le mois dernier, votre équipe a trouvé ce fameux carnet dont vous nous vantiez les mérites. 

Silence dans la salle, alors qu’il relit ses notes. Va-t-il enfoncer le clou ? Le stress me tord l’estomac.

Alors dites-nous, à la lumière de vos lectures, dont nous ne mettons pas en doute le côté fascinant, avez-vous trouvé la solution à tous nos problemes ?

…Non.

Non. Non je le crains. Et dites-nous, avez-vous un plan génial qui nous permettrait de rembourser cette expédition qui nous a couté tant d’hommes ?

…Non… 

Rires dans la salle.

Monsieur Wiseau, à la vue des circonstances et de votre travail, vous comprenez que nous ne pouvons pas persister dans cette voie. En êtes-vous conscient ?

Oui…

Combien de mois nous reste-t-il avant que notre monde ne soit détruit, monsieur Wiseau ? Vos estimations précédentes se sont révélés fausses…

Je l’ignore.

Vous l’ignorez…

Il attend une réponse. Je sais qu’il attend une réponse. Je ne sais pas quoi dire, j’ignore quelle réponse lui fournir. Je suis resté silencieux, poings serrés, à essayer de ne pas pleurer. Il s’est éclairci la voix et je me suis efforcé de le regarder en face sans faillir.

Je suis au regret de vous apprendre, monsieur, que nous avons voté il y a une heure. Monsieur Moff Pullhan vous remplacera à votre poste de conseiller Général du royaume. Votre prochaine affectation vous sera communiquée sous peu. N’oubliez pas de nous rendre vos identifiants professionnels afin de faciliter nos procédures de mutations.

Oui…

Le soleil se couche sur la campagne. Notre relève aurait dû arriver il y a plus d’une heure de cela, mais il est difficile de s’en plaindre avec une température aussi agréable et le pack de bière qu’Anthony a placé entre nos deux chaises.

Les généraux ont enfin pris une décision. Son ton est monocorde et détaché, ce qui me met mal à l’aise. Ils ont décidé de lancer une bombe sur les ruines.

Une bombe ? Mais… On ne sait même pas les effets que cela pourrait avoir ? Et si cela faisait exploser le Cœur ? Et si…

La bombe n’a eu aucun effet. Le Cœur continue de déconner.

Aucun effet ?

Absolument aucun. Et c’était notre bombe la plus puissante.

J’ai trinqué avec lui, sans aucune autre raison que de célébrer un autre soir passé au calme.

De toute façon, ma voix n’a plus aucune valeur. Ils ne veulent pas de mon avis. Ni du tien. Nous sommes perdus ici, au…

Il s’est levé, m’interrompant d’un geste brusque, renversant ma bière d’un revers de la main. Il a pointé du doigt la vallée au fond des collines qui jouxte le pied de la montagne.

Hé ! Hé tu as vu ?

Ah, tu fais chier ! Vu quoi ?

Une lumière, là-bas ! Dans les collines !

Tout a changé depuis l’arrivée de cette porte. Si Snjor disparaît, ce ne sera pas le cas de ses habitants.
J’ai réuni ce que je possédais comme connaissances sur le froid et sa gestion grâce à la technologie et j’ai tout donné aux habitants d’Aalvarma, détruisant ainsi le moyen de pression qu’aurait pu avoir mon gouvernement sur ce monde. Nous sommes sur un pied d’égalité, ce qui nous permet d’avoir, j’ose l’espérer, de meilleures relations entre nations.
La stature que m’a donné la découverte de cette porte auprès de mon peuple m’a également permis de remporter sans résistance le poste de représentant de Snjor auprès du conseil de CLAPS.

Le petit assistant a froissé son papier sous le coup du stress.

…Mais vous devez à tout prix vous rendre à cette audience! Ils vous attendent !

Ah ? Et ils vont faire quoi si je n’y vais pas ? Me mettre au placard ?

J’ai pris sa lettre et je l’ai déchiré en deux morceaux.

C’est nous qui avons découvert cette porte. Mon frère et moi. Et tu sais quoi ? J’ai envie de secouer cette découverte devant les yeux des petits vieux défraichis du gouvernement jusqu’à ce qu’ils en meurent. On a travaillé dur pendant des mois pour trouver une solution ! Comment ils nous ont récompensés ?

J’ai rendu les morceaux de papier au petit assistant, et je l’ai poussé vers la sortie.

Tu feras savoir aux membres du gouvernement de Snjor que CLAPS est accueillant et que pour cette raison, je ne veux plus entendre parler du Docteur Lindblum ou de Snjor. Je vais rester à CLAPS et représenter Snjor aussi longtemps qu’il le faudra. Tu leur diras également que tous ceux qui ont voté activement contre la recherche d’une solution aux problèmes de notre monde ne seront pas autorisés comme citoyens à CLAPS. S’ils veulent survivre, c’est à eux de trouver un moyen d’y parvenir.



Anthony a refermé la porte derrière le jeune homme, un large sourire sur son visage.

Je suis présentable ? Il a ajusté sa veste. Je pense que oui. Bon, et maintenant ?

Maintenant on se rend sur CLAPS et on s’assure de faire tout notre possible.

J’ai su à cet instant que tout ne pourrait qu’aller vers le mieux.