Après avoir passé la double porte, en bas des escaliers, le tunnel s'enfonce toujours loin, plus profond.
L'air est froid et humide et l'obscurité est omniprésente. Attention aux têtes, le plafond est assez bas.

Avancez, c'est tout droit.

C'est noir. C'est sombre. C'est humide.
Sa patte dans celle de Slush.

On dirait une sorte de long couloir... Est-ce que ça continue longtemps ?
Apparemment oui...

Silence. Il faut que ce silence soit rompu, il pèse trop. Mais Slush ne peut pas se résoudre à parler aussi simplement. La solution vient d'elle-même : Puisqu'elle aime parler d'elle-même, il faut juste la lancer... Lui donner l'impulsion.

"Pourquoi es-tu venu ici ?"

J'hausse un sourcil dans le noir. Parler de moi ? Encore ? Je me retourne, scrute son visage. Lui ne doit sûrement pas me voir, peut être mes yeux... Il n'a pas l'air rassuré. Je serre sa main un peu plus fort, me retourne et poursuit mon chemin. Je ne pensais pas qu'il voudrait rompre le silence dans lequel il semble si bien se complaire. Mais puisqu'il m'a lancée.

Lindblum est un ancien professeur, quand j'étais encore étudiante et... humaine. Entièrement humaine j'entend. J'étais encore jeune mais déjà très prometteuse. Lui en savait déjà bien plus que tous les autres savants de l'époque. C'était un génie. C'est encore un génie d'ailleurs. Mon mentor en quelques sortes. Sauf que je ne suis pas loin de le rattraper ! Et... Heu... Ces derniers temps, je n'ai pas eu beaucoup de ses nouvelles. Alors quand j'ai reçu cette invitation, je me suis dit que c'était un merveilleux moyen de célébrer nos retrouvailles, dans un lieu à la hauteur de l'événement ! Hum... J'ai été un peu déçue par la qualité de l'accueil sur l'île. Mais je suis sure qu'il y a eu un problème majeur, qui l'a empêché de me recevoir... C'est pour ça que je suis ici, dans ce couloir sombre et humide. Pour aller saluer mon mentor puisque lui ne veux pas venir...

Le silence retombe. Je continue de marcher droit devant moi. Ma vision surdéveloppée ne nous sert pas à grand chose. C'est toujours tout droit. Verra-t-on jamais le bout de ce couloir ? Je trouve le silence plus pesant qu'avant que je ne parle. Je me sens étouffer. J'imagine Snjor au dessus de moi, colossale. Et nous dans ce couloir étroit, si étroit, dans le ventre de l'ile. Ma gorge se serre. Mon coeur cogne contre ma poitrine. L'angoisse me saisi le ventre. Mes jambes faiblissent. Non ! Je suis parfaite ! Quand on est parfait, on est pas claustrophobe ! Ressaisis-toi, mais ressaisis-toi bon sang ! Ce silence qui m'écrase, il faut le briser. Le faire parler, lui, moi je n'en ai pas la force. Je demande, la voix un peu tremblante.

Et toi ?

Parle pitié. Fais moi respirer.

Parce que les nuages, c'est ce qu'il préfère ? Parce qu'il y a toujours une brise ici et qu'il est possible de s'asseoir dans un coin et de ne rien faire de la journée ? Parce que ce lieu est censé être un havre de paix ?

"Cela ne me plaisait pas en bas."

C'est vrai en un sens. En bas, Slush devait se plier à toutes sortes de règles et de choses à faire pour ne pas être marginalisé. Ici, en haut, il espérait que ce serait fini.
Pour fuir les gens, et fuir les mots. Fuir les mots des gens.
Ce n'est pas comme si pour l'instant, cela avait été le rêve idyllique qu'il lui avait été promis mais cela était mieux que rien.

"..."

Et puis, Slush n'était pas mort. C'est également agréable.
Tout ce qu'il était arrivé, ce n'était que du mouvement dans ce qui est d'habitude une mer d'huile. Ce n'est pas une vie d'aventure que le jeune homme veut, mais c'est une vie agitée. Et pour l'instant, en haut, la brise perpétuelle lui assurait au moins cela.

"...."

Tous ces gens qu'il avait rencontrés ici, et dans l'aéronef. Aucun n'était fondamentalement mauvais, sauf exception de celui qui s'est fait offrir un baptême de l'air. Et rien que cela, c'est un changement énorme. En bas... Les gens sont différents, amorphes.
Ici, dans le creux de la terre, Slush se sentait bien. Enfin, pas aussi bien que s'il était seul, évidemment, mais bien tout de même. Il tenterait peut-être de revenir ici seul lorsque tout sera calmé.
Au sein de la terre, au milieu des cieux, seul. Rien qu'à y penser, Slush peut presque toucher la plénitude du bout de l'esprit.

"... ..."

Et sans tous ces mots inutiles. Les gens n'imaginent pas à quel point les mots sont dangereux. Il est facile de rompre le plus solide des alliages avec un seul d'entre eux, bien placé, dans un point vulnérable afin de causer la rupture. Et tout s'effondre. Avec un seul mot.
Alors Slush se tait, pour ne rien détruire. On construit plus difficilement sans mot, mais plus sûrement, et ce qui est construit se conserve.

Le silence, lourd comme de la fonte. Il est temps de choisir d'autres syllabes à assembler, soigneusement. Une autre raison pour sa venue ?

"... ....J'aime bien quand le vent souffle. Et que les nuages se fondent les uns dans les autres en glissant sur la mer... .... .... ....Je pourrais m'habituer à ce genre de vue... ... ... ..."

Quand il parle, cela m'apaise. Sa voix grave, son ton dur. Chaque mot est réfléchi. Comme s'il vouait les économiser. Alors chaque mot qui sort de sa bouche, c'est comme un petit cadeau qu'il me fait.

Et quand il se tait, le lieu m'étouffe à nouveau. Mon crâne me brûle. Mes articulations se raidissent. J'ai envie de me recroqueviller sur moi-même pour avoir plus d'espace autour de moi. Je ferme les yeux. Parles, mais parles bon sang ! Il me parle à nouveau. Le vent. Le ciel. La mer. Je ferme mes yeux plus fort, j'appuie sur mes paupières à m'en faire mal. J'y suis. Je ne suis pas dans un couloir à plusieurs centaines de mètres sous la terre. Je suis au bord de la mer. L'infini en face de moi. L'univers à porté de regard. Je respire le vent frais, qui vient de l'autre bout du monde peut être. Je suis à l'autre bout du monde. Je gonfle la poitrine. J'écarte les bras pour mieux sentir le vent s'engouffrer dans mon pelage. Je me heurte au parois du couloir. Aie. je ne suis pas au bord de la mer. Je suis ici. Là où je ne peux même pas écarter les bras. Je pousse de toutes mes forces sur la paroi. Rien à faire. Et si je voulais lever les bras au dessus de ma tête ? Je ne pourrais pas non plus. Je me sens étouffer. Ma belle liberté enfermé loin de moi. Comme si elle était resté à m'attendre à l'entrée du couloir. J'essaye de gonfler ma poitrine à nouveau. Je n'y arrive pas. Comme si l'humidité compressait ma poitrine. Je suffoque. J'ai besoin d'espace. Je me laisse glisser au sol. Serre mes jambes contre ma poitrine et les enlace fermement de mes deux bras. Entre deux suffocations, je lève des yeux implorant vers mon compagnon.

Parle-moi... Parles de... La mer... Parles moi encore de la mer...

De la lumière. De la lumière au plafond.
Un carré lumineux. Est-ce la sortie dont a parlé B.R.U.N.O ?

C'est une dalle, une de celle qui constituent le sol du temple. Vous y êtes.
La dalle est assez lourde, mais ce n'est pas insurmontable. Six kilos exactement.

Soulevez là, et il vous suffira de vous hisser pour émerger dans le temple.

Du bruit. Il y a des gens derrière.
Et l'issue qui se profile enfin. De la lumière.

"Si tu veux sortir, si tu ne te sens pas bien, sors. Je reviens."

Slush a traversé le couloir en accéléré. Pas d'obstacle, c'est rapide. On avance plus vite une fois que l'on sait que c'est juste tout droit.

Direction l'escalier.

De retour. Le couloir n'est pas si grand, finalement.

"Il y avait des gens. Je leur ai dit de se dépêcher."

J'ai vu la lumière au dessus de nous au moment ou je me suis laissée tomber au sol. Et j'ai entendu les voix provenant de l'entrée du tunnel. Cela m'a rassurée. Je me suis remise à respirer normalement. Mais j'ai gardé ma position chétive et mes yeux terrifiés brandis vers lui. J'aimerais bien qu'il me parle de la mer. Il n'en a rien fait. Il est parti. J'étais en train de faire une crise, et lui au lieu de me sauver il s'est tiré ! Alors que je lui ai sauvé la vie il y a moins de dix minutes ! Comment a-t-il pu résister au charme d'un si joli minois ? Sans coeur. Tiens ? Sans coeur, sans odeur, sans son... Ce type existe-t-il réellement ? Oui bien sur. Je suis parfaite, je ne suis donc pas folle.

Je me suis relevée. Puisque je n'émeut personne, je vais me prendre en main moi-même. J'ai fixé la dalle au dessus de moi par laquelle filtrait la lumière. Elle a l'air lourde. "Si je voulais lever les bras au dessus de ma tête, je ne pourrais pas non plus". Si je peux. Avec un peu de volonté. Je lève les bras, pose mes pattes sur la pierre froide. Lève les bras au dessus de ta tête. Lève ! Tu la veux ta liberté ? Elle est à portée de bras ! alors soulève cette saloperie de pierre. Les muscles de tout mon corps se raidissent. La pierre n'est pas si lourde que prévu, mais la porter à bout de bras rend les choses difficiles. Je la sens se soulever très lentement. La lumière inonde le couloir. Je laisse la pierre retomber sur le sol au dessus. La voie est libre.

C'est le moment qu'a choisi Slush pour revenir. Quand je n'ai plus besoin de lui, évidemment. Je le regarde en soupirant, les deux poings sur les hanches. Je baigne dans une douce lumière zénithale. Qu'est ce que ce type est chanceux que je lui offre de telles merveilles visuelles aussi régulièrement. j'en suis jalouse.

Des gens ? Oh non... j'espère que ce n'est pas la rouquine, sinon je la zigouille. Une griffe dans la gorge. Non. Le sang, ça peut heurter la sensibilité des plus faibles. Je veux bien lui offrir une mort douce, je suis généreuse. du moment qu'elle est morte à la fin, moi ça me va. L'assommer ? Quel manque d'élégance de ma part de penser à un geste aussi grossier... L'étrangler... Ah oui ! Ca c'est une bonne idée. C'est raffiné, propre. Et si je l'étrangle avec ma queue, ce sera subtile, puisque le meurtre rappellera son motif. Je suis une fille pleine d'humour.

J'ai tendu ma patte à Slush pour qu'il puisse m'aider à monter. Quelle chance il a, vraiment...

Un pas en arrière lorsqu'elle tend la main. Ce n'est pas comme ça que l'on fait.
Un pas en avant et Slush croise les deux mains dans la position de la courte échelle. C'est comme ça que l'on fait.
Position solide, pied en arrière.

Slush se demande s'il parviendra à se hisser seul, une fois Dahlia en haut. Le plafond n'est pas haut, il y arrivera probablement. Il suffira d'essayer pour en être certain.